L’essor de Saint-Raphaël
La station de villégiature de Saint-Raphaël prend naissance avec l’arrivée du chemin de fer Paris-Lyon-Méditerranée en 1864, en particulier sous l’impulsion de l’écrivain Alphonse Karr. Mais le véritable essor de Saint-Raphaël a lieu après l’élection de Félix Martin à la mairie en 1878. Ingénieur spécialisé dans les chemins de fer et les canaux, il fait œuvre de promoteur. Pendant son mandat, une nouvelle ville voit le jour.
Les origines
Connue dans l’antiquité comme un lieu de villégiature gallo-romaine dans l’aire d’influence de Fréjus, Saint-Raphaël n’est pendant de longs siècles qu’une petite bourgade de la côte méditerranéenne, tournée vers une activité portuaire. Jusqu’à la deuxième moitié du XIXème siècle, le territoire de la commune est très peu peuplé. Il se compose de deux hameaux : le Village (actuel centre-ville) et le Port.
Les habitants sont essentiellement des agriculteurs et des pêcheurs. On trouve aussi de la petite industrie avec une savonnerie, des bouchonneries, un peu d’extraction minière. On y compte environ un millier d’habitants en 1864, avant l’arrivée du chemin de fer, qui va bouleverser l’avenir de la station.
Le Port
Les débuts de la station : 1864-1878
Le projet d’une liaison ferroviaire Paris-Lyon-Méditerranée date de 1853. Marseille est reliée en 1857 et Toulon en 1859. Saint-Raphaël est desservie au milieu de 1864 et Nice à la fin de la même année. Cette ligne va permettre l’essor de la côte de Hyères à Menton, que Stephen Liégeard appellera plus tard la Côte d’Azur.
La Gare
La villa Les Myrtes
La mutation rendue possible par le développement des transports s’inscrit dans le contexte général du développement de la villégiature balnéo-climatique sous le Second Empire. Cette période de prospérité économique voit la constitution de nouvelles fortunes liées au capitalisme industriel ou boursier à la recherche d’un nouvel art de vivre.
Napoléon III favorisera les villes de villégiature thermales ou balnéaires comme lieux de prestige au service de l’Empire, où se croisent le « gratin » de l’aristocratie et celui de la grande bourgeoisie européenne.
L’arrivée du chemin de fer, si elle permet de désenclaver les zones côtières, amène aussi un afflux de capitaux et entraîne une spéculation autour de la vente des terrains. Cela génère une clientèle potentielle, qui construira les premières villas.
Dès l’année 1864, arrivent les premiers villégiateurs et en particulier « l’inventeur » de Saint-Raphaël, Alphonse Karr. Il avait été précédé en 1852 par le peintre orientaliste Eugène Fromentin qui y séjourna quelques mois. Alphonse Karr, né en 1808, a déjà derrière lui une longue carrière de journaliste – il est rédacteur en chef du Figaro en 1835 – de pamphlétaire, de romancier et de poète lorsqu’il vient se fixer à Saint-Raphaël.
La présence d’Alphonse Karr attire immédiatement toute une colonie d’artistes. En particulier Charles Gounod en 1865 et l’écrivain Jean Aicard. Puis viendront les peintres Jean-Louis Hamon, Louis Hardon et Guillaume de Chiffreville. Enfin d’autres écrivains y séjourneront comme les frères Goncourt, Théophile Gauthier, les Dumas père et fils, Victor Hugo….
Cette première villégiature est donc essentiellement le fait d’artistes, à la recherche d’une nature sauvage et préservée. Une vingtaine de villas sont construites entre 1865 et 1878.
L’apogée de la station : 1878-1914
Cependant le véritable essor de Saint-Raphaël n’a lieu qu’après l’élection de Félix Martin à la Mairie en 1878.
Sous son impulsion, Saint-Raphaël connaît une véritable mutation pour devenir une élégante station balnéaire. D’importants travaux d’infrastructures sont réalisés : alimentation en eau potable à partir d’un aqueduc qui capte les eaux de la Siagnole, travaux d’assainissement, alimentation en gaz, éclairage public, arrivée du téléphone, construction de plus de soixante kilomètres de routes forestières et voies carrossables.
La Terrasse des Bains
Le Casino aux neuf muses
Pendant la vingtaine d’années de son mandat, 200 villas sont construites et la ville est complètement transformée. Un casino, et un établissement des bains sont construits. De même qu’un hôpital.
Comme pour l’ensemble des stations de villégiature du XIXème siècle, le climatisme et l’hygiénisme sont les principales motivations des séjours. Des médecins renommés font bâtir leurs villas qui sont également leurs cabinets de consultations, notamment à Valescure.
La Villa Notre Dame
Au milieu des années 80, les nouveaux habitants sont encore le plus souvent français, et les artistes toujours nombreux. Puis, à l’exemple de Félix Martin, arrivent des acteurs impliqués dans la vie économique : industriels, aristocrates, hommes politiques.
Ils se regroupent en petites communautés homogènes dont les villas deviennent les lieux de réceptions et de dîners mondains auxquels sont conviés les édiles raphaëlois et qui sont à l’origine des principales manifestations de la station.
Parmi les artistes que l’on voit à Saint-Raphaël, on peut citer la cantatrice Caroline Miolan-Carvalho, l’actrice Suzanne Reichenberg, le félibre Frédéric Mistral, le librettiste Jules Barbier, le sculpteur Oscar Roty, ou encore Alphonse Daudet.
La construction des villas s’organise dans des espaces jusque-là sauvages : le plateau Notre-Dame, les Cazeaux, la corniche du bord de mer, Valescure, site privilégié au cœur de la forêt de pins parasols, ou vers le paysage maritime de Boulouris, Agay, Anthéor et le Trayas.
Pierre Aublé, né à Rhodes, ami d’études de Félix Martin, sera le principal architecte actif à Saint-Raphaël. Il dirige un atelier qui compte jusqu’à 24 personnes. Il aurait construit environ soixante villas, pour la plupart dans le style palladien qu’il affectionne tout particulièrement. Il est aussi l’architecte de l’église Notre-Dame de la Victoire, consacrée en 1888.
Mais d’autres architectes se sont illustrés, tels que Sylvain-Joseph Ravel, Henri Lacreusette, Laurent Vianay, Léon Sergent, Jacob Houtelet, ou encore Pierre Chapoulard… Outre les palladiennes, les villas sont de style néoclassique, méridional, anglo-normand, mauresque, art nouveau, et aussi éclectique…
La Villa Magali
En cette Belle Epoque, on a le goût du beau et aussi celui de montrer. Les somptueuses demeures sont faites pour être vues et placer leurs propriétaires dans l’échelle sociale. Elles prennent souvent pour appellation le prénom de l’épouse ou de la fille, parfois même de la végétation qui les entoure.
Les villas se parent de magnifiques jardins où l’on retrouve les essences traditionnelles du pourtour méditerranéen, comme le chêne-liège, le ciste, l’olivier, le pin, le caroubier, le laurier. S’y ajoutent les essences exotiques et tropicales, très prisées alors, telles que le palmier, l’eucalyptus ou le mimosa, introduites en France depuis les Antilles.
Après la crise financière qui frappe la ville en 1895, les Anglais participent très activement au renouveau de la station et leurs capitaux contribuent à la relance. Ce sont de grands aristocrates tels que Lord Amherst, Lord Ashcombe, Lord Rendel, ou encore le Colonel Brooke. Ils achètent villas et terrains à Valescure. Ils installent leur propre banque, leur haras, leur tennis, et construisent leur chapelle, et enfin leur golf, qui sera inauguré en 1900 en présence de l’archiduc Michel de Russie.
La Villa Bois Dormant
En 1898 la réalisation de la route de la Corniche d’Or est lancé par le Touring-Club de France, avec le concours de la compagnie des chemins de fer Paris-Lyon-Méditerranée (PLM). Inaugurée en 1903, la route sort définitivement de leur isolement les quartiers du bord de mer, facilitant le déplacement des nouveaux résidents.
Saint-Raphaël continue de voir défiler des visiteurs célèbres aussi bien du monde des arts comme Colette et Sarah Bernhardt, que du monde politique à l’instar de Georges Leygues, ou que des personnalités britanniques telles que Lord Gladstone, Premier Ministre de la reine Victoria.
Le 15 septembre 1914, au moment où le premier conflit mondial se met en place, Saint-Raphaël est érigée en station climatique et balnéaire, estivale et hivernale par le Président de la République Raymond Poincaré, fidèle résident de la commune.
Entre les deux guerres
La « Grande Guerre » est un moment de rupture pour les économies et les modes de vie de la société occidentale. Cela est également vrai en ce qui concerne la villégiature. Cette mutation concerne à la fois la clientèle, les pratiques et les techniques avec entre autres l’essor de l’automobile.
La guerre a entraîné la chute de nombreuses grandes fortunes européennes basées sur la rente. C’est une grande bourgeoisie libérale qui vient maintenant pour s’adonner, le temps d’un été, aux nouveaux loisirs, à la pratique sportive, au soleil et aux bains de mer.
De nouveaux établissements voient le jour. Ainsi le Golf-Hôtel, dessiné par l’architecte René Darde, achevé en 1924, va accueillir de nombreux représentants de l’élite mondaine internationale, tels que le roi Umberto d’Italie, la princesse Clémentine de Belgique, le duc de Windsor, Lord Mountbatten, Neville Chamberlain….
Le long de la côte, les stations poursuivent leur développement. Agay est considérée comme une « station de repos » et connaît vers 1926 un développement rapide grâce à la gare PLM. Anthéor qui souffre d’une absence de gare, trouve un essor en 1921, avec la route d’accès élargie.
Le Trayas concrétise son existence de petite station hivernale (point de départ d’excursions dans l’Estérel). De coquettes villas et des hôtels confortables, y accueillent à présent les visiteurs. La station est desservie par la grande ligne Paris-Vintimille.
Certaines grandes villas construites au siècle précédent vont être amenées à diviser et à lotir leur parc. De nouvelles villas voient le jour dans le style art-déco ou dans le style régionaliste provençal, avec des architectes comme Georges Giger ou Henri Bret.
La villégiature d’été prendra le pas sur la villégiature d’hiver. Scott et Zelda Fitzgerald en sont l’illustration par leur séjour à la villa Marie pendant l’été 1924, Scott y achevant l’écriture de Gatsby.
Après la seconde guerre mondiale
La seconde guerre mondiale constitue une nouvelle rupture. Les destructions ont été importantes entre la gare et le port mais aussi à Santa Lucia où de nombreuses villas doivent être rasées. À Agay, les dommages sont particulièrement considérables. La reconstruction démarre… Et le développement de la station repart progressivement à partir des années cinquante. L’urbanisation se tourne alors largement vers une extension de type pavillonnaire, pour l’essentiel de petites villas d’habitat permanent.
Quelques villas plus intéressantes sont construites dans le style régional par l’architecte Albert Marquisan, ou dans le style moderne par Guy Giger.
Le centre ville
Au cours des années 1970 et 1980, et même au-delà, la pression immobilière et la spéculation conduisent à la démolition de nombreuses villas anciennes, dont certaines étaient d’une très grande valeur architecturale. Elles sont remplacées par des logements collectifs destinés à la résidence principale et pour beaucoup à la résidence secondaire.
On voit ainsi disparaître une part importante du patrimoine du Saint-Raphaël de la Belle Epoque…A côté de cela, quelques grandes villas sont heureusement rénovées, et découpées en appartements.
Ce n’est que dans les années 2000 que la municipalité commence à prendre conscience de l’intérêt de préserver les constructions qui témoignent de ce bel héritage…Le Plan d’occupation des sols voit apparaitre le statut de villa remarquable, dite « étoilée », qui justifie une protection particulière, et une liste de près de 200 bâtiments est établie. Cela n’est pas toutefois suffisant, quelques démolitions ou dégradations se poursuivent, d’où le projet en cours de mise en place d’un Site Patrimonial Remarquable…