Les Anglais à Valescure
A partir du rattachement de Nice à la France, en 1860, les étrangers commencent à affluer sur la Riviera. Dès 1880 et l’aménagement du bord de mer réalisé par Félix Martin, avec le casino, les hôtels et le kiosque à musique, les Anglais en mal d’air pur et de douceur arrivent à St Raphaël pour y passer l’hiver.
En 1882, les Britanniques étant de plus en plus nombreux, Félix Martin offre un local et une subvention pour permettre l’installation d’un prêtre anglican. Le révérend Dyce exerce tous les hivers jusqu’en 1898. Le nombre grandissant de fidèles l’oblige même à officier dans les hôtels de Valescure ou dans les villas.
L’église anglicane
Hôtel Coirier
On peut se demander pourquoi les Anglais sont venus si nombreux à Saint-Raphaël et particulièrement à Valescure ? Comme le souligne l’historienne Lindsay Benoist, on lit dans un magazine anglais de 1896 : « de toutes les stations d’hiver sur la Riviera, Saint-Raphaël est la plus proche de l’Angleterre (à l’exception de Hyères) puisque l’on atteint cette ville par le chemin de fer presque une heure avant Cannes ».
Les premiers Anglais à Valescure viennent séjourner dans le Grand Hôtel ouvert en 1882 par Monsieur Saft, directeur du Grand Hôtel de Baden en Suisse. Monsieur Coirier, hôtelier à Vichy, l’achète en 1888, ajoutant deux étages et une grande salle à manger.
Sydney Bentall, est le premier Anglais à s’installer à Valescure avec sa famille. En 1885, il construit la villa Les Asphodèles, sur les plans de l’architecte Léon Sergent. Sa jeune cousine Catherine, épouse l’architecte et ils bâtissent la villa Mary juste à côté. Léon Sergent devient de ce fait l’architecte des Anglais et réalise de nombreuses villas d’un style bien britannique : 1888 les Colombes Grises pour le colonel Call, 1892 Le Suveret pour Evelyne Broadwood, 1898 Clair Bois pour Nelson Hector, 1899 Les Genévriers et la «Chapelle de Tous les Saints» pour Lord Rendel, 1909 la villa Sainte-Baume pour Sir Lawrence Jones. Léon Sergent devient le gestionnaire de biens de Lord Rendel et un intermédiaire incontournable pour les investisseurs, au travers de son « English Agency » en ville.
English Bank
Hôtel des Anglais
Le second Anglais à venir vivre dans ce quartier est Sir William Bullock Hall. En 1889 il achète à madame Félix Martin la villa le Maquis. Aristocrate fortuné, journaliste, écrivain passionné d’archéologie, il reçoit de nombreuses personnalités britanniques, dont le Prince de Galles, contribuant à la notoriété de Valescure.
Les belles villas construites par des médecins ou des notabilités parisiennes, sont louées pour la saison d’hiver à de grandes familles souvent accompagnées de leurs domestiques. Dans les parcs on bâtit des annexes pour recevoir le personnel, en particulier les cochers et leurs équipages.
Le pensionnat de jeunes filles construit par Pierre Aublé devient l’Hôtel des Anglais.
Les enfants doivent rédiger leurs souvenirs de vacances, herboriser ou orner leurs travaux de belles aquarelles. Le soir on se réunit autour du piano accompagné de violons, chez les uns ou les autres, pour des soirées culturelles, parfois on joue une pièce de théâtre ou on déclame des vers. On s’invite à prendre le thé !
Tout le monde se connait, beaucoup d’Anglais, des Ecossais, des Gallois et même des Américains.
Devant la villa Marguerite
Famille de lord Rendel
L’Anglais le plus actif et le plus connu à Valescure est Lord Stuart Rendel, député libéral. Il vient pour la première fois en 1892 en famille et loue pour deux mois la villa Magali. Il est accompagné par Lord Gladstone, premier ministre de la Reine Victoria, qui fera de nombreux séjours à Valescure. Il devient propriétaire de la villa Saint-Dominique.
C’est une période faste pour Valescure: hôtels et villas affichent complet, on refuse du monde. La Princesse de Galles n’a pu trouver de quoi se loger avec sa suite. De nombreux ministres, parlementaires ou notables londoniens prennent l’habitude de se montrer à Valescure, entrainant des journalistes dont les articles vont renforcer la mode de cette villégiature.
En 1893 la famille du Comte Onslow ayant acquis Les Cigales, les deux filles viennent régulièrement, Gwendolen épouse le comte Guinness le brasseur et député bien connu, et Dorothy épouse le futur duc d’Halifax qui sera secrétaire d’état proche de Churchill pendant la guerre. Le Saint-Raphaël journal annonce toujours leur arrivée et celle du personnel les précédant pour préparer la villa !
Le Suveret
Colonel Brooke
Lord Amherst, député conservateur, découvre Valescure en 1896 avec sa famille. Proches de la nature, ils sont enthousiasmés et reviennent tous les hivers en location ou à l’Hôtel Coirier. Il achète 354 hectares de terrains et construit une grande demeure en 1903. Il va rivaliser avec Lord Rendel, son opposant politique, par l’étendue de ses terres. Il y prévoit même un terrain de cricket pour rivaliser avec le golf ! Il devient le premier président et mécène du club de football raphaëlois qui, en 1912, sera champion de France.
Le colonel Brooke, auréolé d’une brillante carrière militaire, s’installe à Valescure en 1907, et acquiert la villa Marguerite (aujourd’hui Chanteraine). Il se montre également très actif en faveur du développement de la ville.
En 1897, après la liquidation de la société civile de Félix Martin, un groupe de dix fortunés et notables anglais créent « La société civile des terrains de l’Estérel Valescure », dont Lord Rendel, son gendre Henry Gladstone), Sydney Bentall, le Comte Claude Georges Bowes Lyon (grand père de la Reine Elisabeth II, son beau-frère Augustus Jessup richissime industriel américain, le Baron Sir Lawrence Jones. Ils vont racheter une grande partie des terrains en liquidation, réalisant ensuite dans les reventes de substantielles plus-values.
Les années 1900 vont voir la réalisation de nombreuses villas mais aussi d’infrastructures confortant l’intérêt des Anglais pour Valescure : un kiosque à musique, une église catholique, une église anglicane, des tennis, l’agence bancaire et immobilière King. Le golf de Valescure est inauguré en janvier 1900 par le grand-duc Michel de Russie. Lord Rendel en est le premier président.
Les golfeurs
Le club house
En centre-ville on apprécie le casino, les commerces et salons de thé, les restaurants des hôtels, les agences immobilières de location de villas, où l’on parle anglais bien sûr.
Le golf attire rapidement par ses compétitions une clientèle anglaise de la Riviera. La Duchesse de Malborough, parente de Winston Churchill, y prend ses habitudes, souvent en compagnie des frères du Tsar de Russie. David Lloyd George, député libéral, ex premier ministre, vient souvent se reposer et jouer à Valescure. Lord Ashcombe, apporte sa contribution avec l’agrandissement du club house.
Et c’est ainsi que, selon un mot de l’époque, « Valescure appartient l’hiver aux Anglais ».
Le déclin de la présence anglaise et de l’animation hivernale du quartier de Valescure se fait sentir à partir de 1930.